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19/09/2020
Rageur, métallo, boxeur, un peu matamore.
Rocker, Brésilien de cœur, gentilhomme de fortune.
À sa façon, poète, l’un des héritiers, inattendu peut-être, de Léo Ferré.
Poésie d’auteur, Apollinaire, Aragon, Kipling, qu’on retrouve dans les chansons : Marizibill, Est-ce ainsi que les hommes vivent, If.
Poésie signée Lavilliers, urbaine, tendre, avec un penchant pour les voyous, les prostituées, les gamins des rues, les ouvriers du métal, les naufragés de la société, les prisonniers sans soleil, les shootées sans berceuse.
Musique mâtinée de rythmes cubains ou carioca, ou dure comme à New York.
Musique de grand fauve se coulant dans le trafic des cités artérielles.
Voici Lavilliers, passeur des grands espaces où les voyageurs s’allongent à l’ombre des dunes tandis que les urubus abjects tournoient dans le ciel mauve.
Écoute
Tous les mots que je lance me reviennent en plein cœur
Écoute
Et même le silence ne me fait pas de fleur[1]
20/08/2020
La classification des langues africaines par Joseph Harold Greenberg fait aujourd’hui l’objet d’un consensus assez large dans la communauté scientifique, même si de nombreux points relatifs aux subdivisions internes sont encore discutés.
Dans l’ouvrage qu’il a publié en 1963, The Languages of Africa[1], Greenberg ramène la formidable diversité linguistique de ce continent à seulement quatre grandes familles : afroasiatique, nilo-saharienne, nigéro-kordofanienne et khoisan. La parution de son ouvrage est une balise essentielle dans le champ de la classification des langues car le domaine africain était alors l’un des plus embrouillés qui soient. Si certaines familles (sémitique, bantoue, notamment) avaient été repérées depuis longtemps, aucune image solide n’avait été dégagée pour l’ensemble du continent. L’ouvrage de Greenberg fit jaillir un ordre global là où régnaient des ordres partiels souvent mal reliés entre eux.
C’est la classification de Greenberg qu’ont aujourd’hui adoptée, avec parfois des variations dans les appellations, les principales encyclopédies en ligne : Wikipédia, Universalis, Larousse.
L’étendue des connaissances de Joseph Greenberg, sur un très grand nombre de langues du monde entier, est proprement sidérante. Son génie classificatoire ne l’est pas moins. Sa curiosité et son sens du défi l’ont conduit à se confronter aux espaces linguistiques les moins défrichés ou à ceux qui faisaient l’objet des tabous les mieux ancrés : langues des Papous de Nouvelle-Guinée, langues amérindiennes, langues de l’espace eurasiatique.
Le succès de sa classification des langues africaines rend a posteriori étonnants les violentes critiques et les refus dont il a été l’objet pour ses travaux ultérieurs dans les domaines cités plus haut. Cependant la différence des époques et la puissance des bastions académiques qui se sont sentis assiégés peuvent expliquer ces différentes réactions.
Les spécialistes des nombreux groupes de langues amérindiennes ont vu d’un mauvais œil l’émergence d’une thèse qui ramène à trois macrofamilles seulement la diversité des langues du continent. En particulier, l’hypothèse de Greenberg d’une famille Amérinde, rassemblant l’essentiel des langues d’Amérique du Nord et du Sud, a fait l’objet d’un rejet massif. Sans entrer dans la technicité du débat[2], il n’y aurait rien d’étonnant à ce que la diversité des langues de l’Amérique se ramène à trois groupes alors que celle de l’Afrique en compte quatre. Et ce d’autant moins que l’Afrique, terre d’origine de l’homme moderne, a toutes les raisons d’être linguistiquement plus complexe que l’Amérique, dernier continent à avoir été peuplé par lui.
En ce qui concerne l’espace eurasiatique, une bonne part de l’opposition est venue de spécialistes refusant l’idée que le groupe indoeuropéen soit rapporté à un ensemble plus vaste, en l’occurrence la macrofamille eurasiatique[3] avancée par Greenberg. Des raisons idéologiques, en rapport avec l’ethnocentrisme européen, ne sont pas absentes des raisonnements qui rejettent la thèse de Greenberg. Ce dernier avait d’ailleurs déjà affronté des critiques du même genre, parfois teintées de racisme, à l’époque de son ouvrage sur les langues africaines, quand il avait montré que les langues sémitiques et les langues tchadiques, ces dernières parlées par des populations noires, appartenaient au même phylum afroasiatique.
Gageons que les vues de Greenberg, corrigées sans doute sur certains points, gagneront du terrain dans les prochaines années, à condition toutefois que les milieux scientifiques favorisent davantage les approches larges et ambitieuses de ce sujet majeur pour la compréhension de nos origines.
[1] The Languages of Africa, Joseph H. Greenberg, Bloomington, Indiana University Press, 1963
[2] Notons tout de même que l’un des principaux arguments avancés par Greenberg en faveur de la famille amérinde, l’existence d’une configuration pronominale qui se retrouve dans la plupart des groupes linguistiques amérindes et est absente partout ailleurs dans le monde, n’a pas fait l’objet d’une réfutation véritable.
[3] Greenberg identifie une macrofamille qu’il nomme eurasiatique, comprenant, outre le groupe indoeuropéen, les familles ouralienne, altaïque, tchouktchi-kamtchatkienne, eskimo-aléoute et, possiblement, la famille composée des trois langues : coréen, japonais et aïnou.
19/06/2020
À la recherche d’un pseudonyme dans l’une de ces désormais trop nombreuses situations où l’on doit imaginer un identifiant pour les besoins de l’envahissante Toile, je me suis un jour tourné vers les héros de ma jeunesse. Parmi d’autres, deux noms ont surgi, tel des cavaliers de l’orage, hors de la nuit des souvenirs : Zorro et Arsène Lupin.
Des deux n’en faire qu’un ? Zolu n’était pas très « zoli », Zorlu moins encore et Luzo évoquait plutôt le Muzo – voire le museau – de l’ami Placid … Pas sérieux. Restait Luzor. Puis il m’apparut que ce nom pouvait se lire plutôt Luz-Or, dans lequel l’or brille d’un sombre éclat.
D’après René Guénon, Luz est le séjour d’immortalité et se rapporte aux traditions des mondes souterrains. Dans le judaïsme, il s’agit d’une ville mystérieuse dans laquelle l’Ange de la mort ne peut pénétrer et où il n’a aucun pouvoir. « Près de Luz, il y a, dit-on, un amandier (appelé aussi luz en hébreu) à la base duquel est un creux par lequel on pénètre dans un souterrain ; et ce souterrain conduit à la ville elle-même qui est entièrement cachée¹ ». Guénon ajoute que le mot dérive probablement d’une racine qui signifie « caché, couvert, enveloppé, silencieux, secret ».
Le cavalier qui, chevauchant son noir coursier, surgit hors de la nuit est-il un envoyé de Luz ? Sur la terre de Californie où les agents de l’Ange de la mort n’ont que trop d’emprise, à la faveur de l’ombre propice, il rétablit l’ordre de vérité.
À sa manière, Arsène Lupin, dans les plus ambitieuses de ses aventures, accomplit des prodiges plus étonnants encore. Drapé dans une cape noire et coiffé d’un haut-de-forme du même (comme on dirait en héraldique), il se livre à ses activités nocturnes sans perdre le sens de l’élégance ni celui de l’humour. Mais il est aussi le paladin qui, des plus lumineux aux plus ténébreux, révèle les arcanes de l’histoire de France et les mystères de ceux qui, de Jeanne d’Arc au Masque de fer, furent détenteurs du secret de l’Aiguille.
Dans cette affaire, les richesses dérobées par l’Arsène constituent un enjeu qui dépasse toute anecdote. Le trésor (« Très-Or ») des rois de France est caché au plus profond de l’Aiguille, creuse comme l'est le souterrain de l’amandier. En le découvrant, Lupin accède à une forme d’immortalité. Ainsi le cœur secret de l’Aiguille apparaît-il comme l’une des manifestations de Luz, la cité dans laquelle l’Ange de la mort ne pénètre jamais.
¹ René Guénon, Le Roi du Monde, Paris, Gallimard, 1958
09/06/2020
Cette année-là, en classe de sciences, le programme de français comportait deux œuvres : un extrait des Essais de Montaigne et un livre d’un poète dont je n’avais jamais entendu parler : Les Amis inconnus, par Jules Supervielle. Supervielle … nom véritablement flamboyant pour un homme dont je devais découvrir plus tard qu’il était tout de discrétion, tant dans son style que dans sa vie.
Né de parents respectivement basque et béarnais, Jules Supervielle voit le jour à Montevideo en 1884.
Je naissais, et par la fenêtre
Passait une fraîche calèche
La capitale uruguayenne possède un monument qui célèbre Supervielle et deux autres grands poètes français qui, étonnamment, y sont également nés : Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, et Jules Laforgue.
Orphelin très jeune, Jules Supervielle est élevé par son oncle en Uruguay, puis il vient faire ses études à Paris. Il épouse en 1907 une Uruguayenne, Pilar, dont il aura six enfants. Il publie Débarcadères en 1922, puis Gravitations en 1925. La même année, il entame une correspondance avec Rilke qui durera jusqu’à la mort prématurée du grand poète autrichien, en décembre 1926.
« Vous possédez, il me semble, le secret des grands constructeurs : la nuance »
Lettre de Rainer Maria Rilke à Jules Supervielle, 1925.
Depuis 1923, il s’est lié avec le jeune Henri Michaux, amitié singulière si l’on songe à la différence radicale de style entre les deux poètes. Michaux lui dédie une section de son premier et percutant recueil, Qui je fus (1927). Ils voyageront ensemble en Amérique du Sud et resteront liés jusqu’à la mort de Supervielle en 1960.
D’autres livres suivront : roman, Le Voleur d’enfant (1926) ; poèmes, Le Forçat innocent (1930), La Fable du monde (1938) ; nouvelles : L’Enfant de la haute mer (1931) ; pièces de théâtre. Le recueil Les Amis inconnus date de 1934. Supervielle y exprime peut-être l’essence de son art. Convoqués dans une langue élégante, mais sans artifice, les fantômes de son cœur fragile et les animaux de deux mondes y défilent, surgis des pays extérieurs ou des contrées du dedans.
Mémoires des poissons dans les criques profondes,
Que puis-je faire ici de vos lents souvenirs,
Je ne sais rien de vous qu’un peu d’écume et d’ombre
Et qu’un jour, comme moi, il vous faudra mourir.
Installé à Montevideo pendant la seconde guerre mondiale, Supervielle revient à Paris en 1946. Son ami le poète libanais Georges Schehadé écrit un émouvant Portrait de Jules en 1954.
Nul n’a mieux que toi secoué les prunes de l’arbre de poésie
Ô poète familier …
Jules Supervielle est sacré Prince des poètes en 1960 et s'éteint peu après, le 17 mai.
Claude Roy lui dédie en 1966 un volume des Poètes d’aujourd’hui, chez Seghers. Édité en 2002, un CD de la collection Poètes & chansons permet d’écouter certains de ses textes, mis en musique et interprétés par Julos Beaucarne et Martine Caplanne, entre autres.
Évoquant cette belle collection de CD, qu’on peut écouter aujourd’hui chez certains fournisseurs de musique en ligne, je saisis l’occasion du présent article pour la recommander à l’attention du lecteur-auditeur. Outre le Supervielle, les albums consacrés à Gérard de Nerval et à Saint-John Perse sont de grande qualité. Celui dédié à René-Guy Cadou, où l’on retrouve Martine Caplanne et l’excellent Morice Benin, est une pure merveille.
29/05/2020
Baiser d'une infinie douceur, baiser qui dit l'amour, et l'adieu aussi, il scelle le pacte qui lie les générations, la chaîne d'affection de la race des hommes.
Rejeté par l'expansion des agriculteurs bantous et par la colonisation néerlandaise, puis britannique, jusqu'au désert de Namibie, le peuple San est l'un des derniers peuples nomades de chasseurs-cueilleurs du monde. Sa langue, hérissée de clicks, est des plus étonnantes qui soient.
Peuple premier, présent sur la terre australe africaine depuis l'origine des temps, il est le gardien de notre tendresse d'hommes. Et le pur baiser de la jeune fille à sa grand-mère est le premier baiser du monde.