La linguistique historique est la branche de la linguistique qui s'intéresse à l'évolution des langues et des familles de langues. On parle aussi de linguistique comparée ou comparative dans la mesure où, en reconstituant l’histoire d’une langue ou d’une famille de langue, on est amené à comparer différents états de cette langue ou différentes langues entre elles. Mais on peut voir la linguistique comparative plutôt comme une branche de la linguistique historique.
Sa démarche consiste à comparer les langues afin de détecter des ressemblances et d'établir une classification. L'un de ses objectifs est, en identifiant les familles de langues, de savoir celles qui sont apparentées et "descendent" d'une langue ancestrale commune. Il est alors parfois possible de reconstituer la « langue mère ».
Les premières recherches ont conduit à l’identification de la famille indoeuropéenne, notamment par comparaison du latin, du grec et du sanskrit. La notion de parenté linguistique peut être illustrée par l’exemple de l’italien, de l’espagnol et du français qui ont comme langue mère commune le latin. Elles appartiennent, avec le latin, au groupe des langues romanes. Un cousinage plus lointain les rapproche de l’anglais et de l’allemand dans le cadre d’une famille plus vaste et plus ancienne qui est, précisément, la famille indoeuropéenne.
Ayant étudié ce sujet depuis quelques années, j'ai proposé à la bibliothèque de ma commune d'animer une conférence publique visant à présenter la classification des grandes familles de langues du monde à partir des travaux de deux savants américains, Joseph Greenberg et Merritt Ruhlen. Cette conférence a eu lieu en octobre 2016.
L’épisode biblique de la tour de Babel est à l’origine de l’idée que toutes les langues proviennent d’une langue unique. La notion de parenté « génétique » des langues apparaît au XIIe siècle. Un savant islandais dont le nom ne nous est pas parvenu reconnaît la parenté entre l’anglais et l’islandais (toutes deux langues germaniques). À la même époque, un ecclésiastique gallois, Giraud de Barri, avance l’hypothèse qu’une langue ancestrale commune est à l’origine des langues celtiques « britonniques » (gallois, cornique et breton).
Le mouvement s’amplifie à la Renaissance. Au XVe siècle en Italie, deux humanistes de Florence, Le Pogge et L’Arétin, comprennent que les langues romanes contemporaines (italien, français, roumain) sont nées de la modification du latin.
Le XVIe siècle connaît un essor des grammaires : à celles des langues anciennes (latin, grec, hébreu) s’ajoutent celles des langues « modernes » (italien, français, espagnol) et bientôt celles des langues du Nouveau Monde (nahuatl en 1547, suivi de l’aymara).
En 1538, l’orientaliste et théosophe français Guillaume Postel reconnaît l’affinité entre l’hébreu et l’arabe. En Suisse, le naturaliste Conrad Gessner fait paraître en 1555 le recueil Mithridates qui recense plus de 110 langues, première tentative de cette ampleur. Mais Gessner pense encore – à tort – que les langues européennes dérivent de l’hébreu .
Joseph Juste Scaliger, érudit français de la fin du 16e siècle, connu surtout pour ses travaux sur la chronologie historique, est aussi un précurseur de la classification des langues européennes. Dans son ouvrage posthume Diatriba de Europaeorum linguis (1610), il identifie correctement les 11 groupes suivants : slave, germanique, roman (dont le latin), grec, albanais, tartare (turco-mongol), hongrois, finnique (finnois et lapon), gaélique, brittonique (gallois et breton), basque. Rompant avec la philologie en vigueur à son époque, Scaliger rejette l’idée que l’hébreu soit la langue originelle de l’humanité et conteste que le latin soit issu du grec. En revanche il ne perçoit pas les liens qui unissent entre elles certaines des langues qu’il a classées (qu’on appellera plus tard indoeuropéennes).
Le XVIIIe siècle voit se former les premières hypothèses concernant les familles de langues des autres continents. En 1706, Hadrian Reland, philologue des Provinces-Unies, reconnaît la famille malayo-polynésienne en se basant sur le vocabulaire de diverses langues (philippin, indonésien, malgache, futunien) recueilli près d’un siècle auparavant lors des voyages des navigateurs Willem Schouten et Jacob Le Maire : une hypothèse audacieuse, eu égard à la distance considérable qui sépare les différents peuples parlant ces langues. En Amérique, les premières familles identifiées sont les familles iroquoise et algonquine.
Au cours du XVIIe siècles étaient parus des travaux (notamment des dictionnaires) concernant des langues africaines : copte, nubien, guèze, amharique, kongo, nama, etc. Mais c’est seulement en 1776 qu’un ecclésiastique français, Proyart, avance l’idée d’une origine commune à plusieurs langues bantoues du bassin du Congo. La perspective sera élargie et le groupe bantou identifié quelques années plus tard par l’orientaliste britannique William Marsden, par comparaison d’une langue bantoue de l’ouest (kongo) avec une langue du Mozambique où il vivait (langue makua).
En 1786, le naturaliste allemand Peter Simon Pallas fait paraître un recueil de mots issus de 200 langues différentes commandé par l’impératrice Catherine II de Russie. Le recueil Pallas est bientôt suivi d’une nouvelle édition du recueil Mithridates publiée en 1806 par le philologue allemand Johann Christoph Adelung. Ces vastes recueils donnent à la linguistique historique le matériel nécessaire pour que la discipline entre dans une phase véritablement scientifique et connaisse son plein épanouissement qui se produira au XIXe siècle.
À suivre ...
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